JWST : le travail de milliers de vies (Entretien)

12/02/2020

Pierre Guillard, 38 ans, est astrophysicien à l'Institut d'Astrophysique de Paris. Il a participé à la conception d'un des instruments du James Webb Space Telescope, et a accepté de répondre à mes questions sur sa conception. Si vous n'avez pas lu l'article sur le télescope, c'est ici.

Modélisation du James Webb Space Telescope dans l'espace.  ©Nasa
Modélisation du James Webb Space Telescope dans l'espace. ©Nasa

La construction du James Webb Space Télescope (JWST) a débuté il y a des dizaines d'années. Qu'est ce qui a pris le plus de temps ?

C'est un projet qui a démarré dans les années 90. Ça fait trente ans que les astronomes se sont penchés sur le JWST, pratiquement en même temps qu'ils lançaient Hubble ! La première phase est celle du design. On a utilisé des logiciels de modélisation optique, pour fournir un design d'ensemble : le diamètre du télescope, sa focale... Les grandes caractéristiques optiques sont donc faites par des calculs d'optique géométrique classiques, et ce n'est pas ça qui prend le plus de temps.

Ce qui prend le plus de temps, c'est la conception des instruments que le télescope va embarquer avec lui. Donc les caméras, les spectrographe, qui vont analyser la lumière... ces instruments prennent plusieurs années à être fabriqués. L'instrument sur lequel j'ai travaillé, MIRI, une caméra infrarouge, prend à peu près 5 ans.

 MIRI, l'instrument à infrarouge moyen, lors d'un test d'alignement à température ambiante, au Royaume-Uni. ©ESA
MIRI, l'instrument à infrarouge moyen, lors d'un test d'alignement à température ambiante, au Royaume-Uni. ©ESA

Le temps de fabrication est long, mais le temps de test l'est aussi. On fait plusieurs modèles. Le premier modèle est le modèle thermique, pour voir comment l'instrument réagit lorsqu'on le met dans les conditions de l'espace, puis il y a un modèle d'ingénieur, où on a tout un protocole de fabrication de l'instrument, avec des détecteurs et des miroirs. Puis on a un modèle de vol, adapté à l'envoi dans l'espace. On a donc trois à quatre versions de l'instrument. Ça a pris dix ans pour l'instrument MIRI, entre sa première conception et son envoi à la Nasa.


Par rapport à la construction de ces instruments là, en dix ans, la technologie a beaucoup évolué, est-ce qu'on intègre les innovations aux instruments en cours de conception ?

En effet, l'instrument qu'on envoie est souvent déjà obsolète ! [Rires] Le modèle de vol du détecteur infrarouge, donc vraiment le système détection des photons qu'il y a dans les caméras est clairement obsolète, maintenant on sait faire beaucoup mieux. On sait faire plus fin, avec des défauts du détecteur qui sont bien meilleurs. Mais c'est le prix à payer pour s'assurer de la qualité de ce que l'on envoie dans l'espace, pour être sûr que l'on ne fait pas d'erreurs. Il vaut mieux avoir quelque chose d'obsolète mais qui marche que d'envoyer quelque chose qui n'a pas été testé !


Et en dehors des instruments, quelles autres difficultés a posé la conception du JWST ?

La grande nouveauté, c'est la taille du miroir : il est d'un diamètre supérieur à la coiffe de la fusée Ariane 5. Un télescope jusqu'à 3,50 mètres de diamètre peut-être envoyé avec Ariane 5 en un seul bloc. Or, le miroir du JWST fait 6,5 mètres de diamètre, donc il faut le plier !

Une équipe d'ingénieur devant les miroirs, dont la couverture d'or n'a pas encore été appliquée. ©NASA
Une équipe d'ingénieur devant les miroirs, dont la couverture d'or n'a pas encore été appliquée. ©NASA

C'est un miroir segmenté, composé de plusieurs petits miroirs d'un mètre à un mètre cinquante, en forme de nid d'abeille, et le miroir se replie pour entrer dans la fusée. C'est la première fois que l'on envoie un télescope pliable dans l'espace pour de l'astronomie. L'armée américaine a déjà des télescopes pliables dans l'espace, mais tournés vers la Terre donc nécessairement, ils ont besoin de prendre moins de précaution car la qualité d'image requise est bien inférieure.

Ce qui n'a jamais été fait technologiquement, c'est la précision, parce que la communauté de scientifique a besoin d'une qualité bien meilleure que pour des observations terrestres. Technologiquement, l'alignement entre les miroirs doit être de l'ordre d'une fraction de longueur d'onde, donc aligner ces miroirs d'à peine un micron. C'est le premier défi technologique sur un bloc de miroirs aussi grand.


Quelle est l'objectif de la toile de protection ?

C'est l'un des autres points durs du développement du design du télescope. Les panneaux de protection protègent le télescope du rayonnement solaire. La toile se déploie, elle fait la taille d'un terrain de tennis. Il faut qu'elle résiste aux vibrations.

L'écran solaire fait la taille d'un terrain de tennis. ©NASA
L'écran solaire fait la taille d'un terrain de tennis. ©NASA

C'est un matériau extrêmement fin, moins d'un micron, mais très résistant : c'est un mélange de polymères, de fibres de carbone et d'aluminium. Il est réfléchissant, pour protéger contre le rayonnement du soleil, qui risquerait de chauffer le télescope, mais il est aussi très résistant, pour lutter contre les micrométéorites, des particules très fines qui trainent dans l'espace, pour éviter que cela n'endommage le télescope.


Comment ont été fabriqués les miroirs du télescope ?

Les miroirs ont été fabriqués dans des moules, qui ont des formes hexagonales. Ils sont fait de béryllium, un matériau qui n'est pas du verre classique, comme le verre en silicate utilisé pour les miroirs communs. Il est beaucoup plus léger et plus résistant aux écarts thermiques que le verre classique à base de sable. Ce qui compte c'est la précision, la qualité de la surface, et pour polir cette surface, on utilise une machine à polir à base de diamant. Ce sont des micro-diamants, extrêmement fins, qui polissent la surface du miroir, et là-dessus on dépose, sous-vide, un dépôt d'or. Grâce la basse pression, on dépose des atomes d'or automatiquement de manière uniforme, sur la surface. Il y a exactement la quantité d'atomes que l'on veut, d'où la précision très faible. Il y a ensuite d'autres étapes de polissages pour finir tout ça. On utilise des lasers pour tester la précision, pour vérifier qu'il n'y a pas de bosses de plus d'un micron, on cartographie la surface des miroirs, pour voir à quel endroit il faut continuer le polissage. C'est une étape qui prend énormément de temps. Il faut plusieurs années pour polir un seul petit miroir !

Léopold Picot

Pour en savoir plus, toujours avec Pierre Guillard, sur les missions du télescope, c'est ici !
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