JWST : les objectifs ambitieux du projet (Entretien)

03/03/2020

Dernière partie de l'entretien effectué avec Pierre Guillard, astrophysicien à l'Institut d'astrophysique de Paris, elle se concentre sur les missions du James Webb Space Telescope (JWST). Si vous ne comprenez rien, pas de panique : commencez par le début, avec cet article.

Le miroir primaire du JWST, avant d'être installé sur sa protection solaire. ©NASA/Desiree Stover
Le miroir primaire du JWST, avant d'être installé sur sa protection solaire. ©NASA/Desiree Stover

On voit souvent le JWST comparé à Hubble dans certains médias, qu'est-ce-qui les rapproche et les distinguent ?

En fait, ils sont très peu semblables. On les compare parce que c'est le grand projet de la Nasa après Hubble. Le James Webb Space Telescope est un successeur du satellite Spitzer, un petit satellite télescope, infrarouge, qui a été lancé en 2003. Spitzer faisait 85 centimètres de diamètres, mais travaillait dans les mêmes longueurs d'ondes que JWST. Hubble est un télescope optique, qui regarde dans le domaine de longueur d'onde de notre œil, tandis que JWST est un télescope infrarouge. Cependant, JWST va prendre des images à partir de 0,6 microns de longueur d'ondes : il va commencer dans le jaune orangé, il y a un petit recouvrement d'ondes avec Hubble, mais c'est son seul point commun.


Quel intérêt a JWST pour étudier les galaxies, pour votre travail à vous ?

Par rapport à ce que je cherche à faire, je vais pouvoir commander des images à très haute résolution, avec une précision d'image inégalée. On a à peu près cent fois le niveau de détail que l'on avait avec Spitzer. Concrètement, ça veut dire que le niveau de détail que l'on avait dans notre galaxie avec Spitzer, on va l'avoir dans les galaxies externes ! On va pouvoir voir la structure précise des nuages qui forment les étoiles, la formation des jeunes étoiles, la formation des molécules dans les systèmes interstellaires... Et toutes ces choses là, on va maintenant pouvoir l'observer dans des galaxies externes, pas que dans la Voie Lactée.

Spitzer ne faisait que 85 cm de diamètre, contre 6,5 mètres pour le JWST. Il a pourtant permis d'en apprendre plus sur les exoplanètes. ©NASA/JPL-Caltech
Spitzer ne faisait que 85 cm de diamètre, contre 6,5 mètres pour le JWST. Il a pourtant permis d'en apprendre plus sur les exoplanètes. ©NASA/JPL-Caltech

Ces données vont nous apprendre beaucoup sur l'évolution de l'Univers et sur la formation de notre propre galaxie. Parce que pour comprendre l'évolution de l'Univers, il faut comprendre comment les galaxies évoluent, comment elles forment leurs étoiles. Cette diversité de données, obtenue grâce à la précision du télescope, va nous donner une évolution en temps des galaxies. En observant plus loin, plus précisément, on va pouvoir voir tôt (cf l'article du JWST). C'est vraiment une machine à remonter le temps. Je vais également pouvoir regarder pour la première fois ce qu'il y a autour des galaxies, leur halo. On sait qu'il y a de la matière noire, mais on commence à découvrir qu'il y a du gaz, de la poussière, et ça, pour la première fois, on va être capable de le caractériser avec James Webb. Le halo, c'est la frontière entre le milieu intergalactique et la galaxie, c'est l'espace qui entoure la galaxie. C'est ce qui la connecte à l'extérieur, c'est un milieu tampon important, et il influence beaucoup leur croissance en masse.

Spitzer révèle des étoiles embryonnaires vivant dans le voisinage détruit de l'une des étoiles massives les plus célèbres de la Voie lactée, Eta Carinae. ©NASA/JPL-Caltech/N. Smith
Spitzer révèle des étoiles embryonnaires vivant dans le voisinage détruit de l'une des étoiles massives les plus célèbres de la Voie lactée, Eta Carinae. ©NASA/JPL-Caltech/N. Smith

Qu'est ce qui caractérise ce halo, cette frontière ?

C'est très flou en fait. Il n'y a pas de frontière en soi, c'est un abus de langage : c'est quelque chose de très continu. Formellement, on définit le halo à partir de la quantité de matière totale qu'il y a dans la galaxie : les baryons, la matière ordinaire et la matière noire. Et à partir de cela, on peut définir un rayon d'influence gravitationnel de cette matière, et c'est comme cela qu'on définit le halo, sphérique, avec ce rayon. Au-delà de ce rayon, on décide que commence le milieu intergalactique. Pour résumer, il y a la galaxie au centre d'une sphère, qui, elle, est cent fois plus grande que la galaxie, c'est le halo. Et, entre les halos, il y a le milieu intergalactique.

Plus on s'éloigne de la galaxie, plus la densité décroît, de manière très irrégulière. Elle est presque exponentielle, et elle est très hétérogène : il y a des grumeaux de matière un peu partout. Il y a des zones de très basse densité, et des zones de très haute densité. Imaginez : dans un dé à coudre de l'air que l'on respire, il y a des milliards et des milliards de molécules ou de particules, alors que dans un centimètre cube de milieu intergalactique, il y a moins d'une particule. C'est en moyenne un milieu extrêmement ténu.


Qu'est ce qu'on pourrait apprendre sur notre propre galaxie, quels sont les autres objectifs du JWST ?

L'un des objectifs phares, c'est l'étude des exoplanètes. On va caractériser pour la première fois, avec des spectres, l'atmosphère des exoplanètes. On pourrait donc comprendre la composition chimique de l'atmosphère des exoplanètes, quelque chose que l'on ne pouvait pas, ou très peu faire avant. Spitzer l'avait déjà tenté, mais avec la sensibilité de JWST, avec la qualité de ses spectres, on va avoir cent fois plus de détails, on va avoir accès à un plus grand nombre d'exoplanètes. On va pouvoir faire une caractérisation fine, détecter, s'il y en a, du dioxygène, s'il y en a des traces de méthane, d'eau... Ça va être un énorme bond en avant !

Un nuage de formation d'étoiles grouillant de gaz, de poussières et d'étoiles naissantes massives. ©NASA/JPL-Caltech/UCLA
Un nuage de formation d'étoiles grouillant de gaz, de poussières et d'étoiles naissantes massives. ©NASA/JPL-Caltech/UCLA

Le deuxième grand objectif va être d'étudier la formation stellaire, en voyant beaucoup plus finement comment se créent les étoiles, comment se contractent les nuages de gaz qui forment les étoiles...

Enfin, troisième objectif, on va pouvoir accéder à des molécules que l'on ne pouvait pas détecter avant. Avec Spitzer, on voyait la molécule H2 (dihydrogène), qui compose 99% des molécules dans l'Univers. C'est la molécule la plus simple. On voyait un petit peu de monoxyde de carbone, un petit peu de molécules d'eau, mais là on va avoir accès à des molécules beaucoup plus complexes, comme le méthanol.


On devine donc déjà un peu ce que l'on va trouver ?

Oui, car on a des modèles. Des modèles chimiques, physiques sont développés, et donc on va pouvoir tester ces modèles, sur le rôle des molécules dans la naissance des étoiles, sur leur abondance dans l'Univers... Si on se trompe, on va devoir revoir les modèles scientifiques. C'est de la démarche scientifique : on émet une hypothèse, on construit un modèle, on exécute une série d'observations (grâce au JWST), et on valide ou invalide le modèle. Ce qui est le plus intéressant au final, c'est de trouver des observations qui entrent en contradiction avec le modèle de base, car ça permet ou d'affiner le modèle, ou d'en créer un nouveau.

Un nuage de poussière pris par Hubble dans la galaxie ellyptique géante NGC1316. ©NASA, ESA, and The Hubble Heritage Team
Un nuage de poussière pris par Hubble dans la galaxie ellyptique géante NGC1316. ©NASA, ESA, and The Hubble Heritage Team

Avec le JWST, on va pouvoir faire des cartes de l'émission de la poussière dans notre galaxie. La poussière est très importante pour la formation des molécules dont j'ai parlé précédemment car c'est sur un grain de poussière que se forment les molécules, notamment la molécule H2. Pour commencer à faire de la chimie complexe, donc pour commencer à former des molécules complexes qui vont former des planètes et d'autres objets, il faut initier cette chimie, et c'est le dihydrogène qui est le premier maillon de la chaîne de la complexité chimique. Comme le H2 se forme sur la poussière, il faut comprendre la répartition de cette poussière dans notre Voie lactée comme dans les galaxies en général, pour comprendre tout le reste.

Une fusée Ariane 5 sera chargée de lancer le JWST pour le diriger vers le point Lagrange 2, au delà de la Lune. ©DLR/Thilo Kranz (CC-BY 3.0) 2013
Une fusée Ariane 5 sera chargée de lancer le JWST pour le diriger vers le point Lagrange 2, au delà de la Lune. ©DLR/Thilo Kranz (CC-BY 3.0) 2013

Et vous, concrètement, quand est-ce que vous allez pouvoir travailler avec JWST ?

Le lancement officiellement est prévu en mars 2021, dans un an exactement, mais il y a des chances que ce soit plutôt à l'été 2021. Ensuite, il faut trois mois pour mettre en route les instruments, déployer le télescope, etc. Moi, je n'aurai pas les premières données avant fin 2021 ou début 2022 si tout va bien ! En plus, ce ne seront pas des données de science, mais des données de test, que l'on appelle des données de commissioning, qui sont là pour vérifier que les instruments fonctionnent bien : est-ce que la qualité d'image est correcte, est-ce que la calibration, le flux que l'on reçoit est le bon, est-ce qu'il y a des ajustements à faire ? On a donc six mois de plus à attendre. Concrètement, les vrais images de mes galaxies préférées, je ne les aurais pas avant 2023 !


Plus trivialement, lorsque vous demandez une image à la Nasa, comment ça se passe ? Vous recevez un fichier JPEG comme une pièce-jointe ?

Pratiquement ! En fait, on a un calendrier. Je demande à la Nasa, selon l'orientation du télescope, une zone que je veux étudier, et si ma demande est acceptée, je recevrai, plus tard, un mail. Il contient un lien web, pour me connecter à une archive, où les données ont été calibrées, pré-traitées, etc. Ensuite, à partir de ces données là, je fais mon analyse scientifique. Par exemple, si dans une image je ne veux récupérer qu'une information, la poussière, pas les étoiles par exemple, je vais sélectionner les données concernant la poussière. Mais les données que je vais recevoir ont déjà été préalablement traitées par un pipeline de réduction, un code très très long, qui va transformer les données brutes du télescope en données exploitables scientifiquement.

Léopold Picot

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