Les galaxies, briques fondamentales de l'Univers (Entretien)

24/02/2020

Pierre Guillard, 38 ans, est astrophysicien à l'Institut d'Astrophysique de Paris. Spécialisé dans l'étude des galaxies, il a accepté de répondre à des questions sur ses études des galaxies. Pour rappel, une galaxie est un amas d'étoiles, de poussière et de gaz assemblés par la gravitation. Notre système solaire est situé dans le bras d'Orion de la Voie Lactée, une galaxie spirale. 

La galaxie d'Andromède est la galaxie la plus proche de la Voie Lactée. ©Nasa
La galaxie d'Andromède est la galaxie la plus proche de la Voie Lactée. ©Nasa

Vous travaillez sur quoi en ce moment ? Quelles galaxies étudiez-vous ? Quels sont les grands enjeux de l'étude des galaxies ?

En ce moment je travaille sur deux choses. La première c'est la recherche plus théorique, on va dire sur la formation des galaxies. En fait je m'intéresse à la formation des premières galaxies, les premières structures dans l'Univers, et la manière dont le gaz se convertit en étoile. Pour former des galaxies, il faut des étoiles et les assembler par la gravité. Je m'intéresse donc à comment le gaz est converti en étoiles lors des premières étapes de formation des galaxies.

La toile cosmique de la nébuleuse de la Tarentule. ©Joseph Brimacombe
La toile cosmique de la nébuleuse de la Tarentule. ©Joseph Brimacombe

Le cadre dans lequel on étudie ça est un modèle cosmologique, c'est-à-dire une représentation de l'évolution de l'Univers. Dans ce modèle cosmologique, il y a de la matière noire, et on sait que la matière noire forme une toile cosmique. Je m'intéresse à la manière dont le gaz interagit dans cette toile cosmique. Telle qu'on la comprend aujourd'hui, la formation des galaxies a lieu au milieu de cette toile cosmique, parce qu'elle forme des puits de gravité, dans lesquels la matière, le gaz, tombent.

Quand le gaz tombe, il doit se refroidir pour former les étoiles. C'est un peu paradoxal : pour former une étoile, il faut comprimer du gaz, et pour comprimer du gaz, il faut le refroidir. Moi je m'intéresse à ce mécanisme là, pour comprendre avec quelle efficacité se forment les galaxies, combien de masse de gaz est convertie en étoiles par rapport à la masse initiale disponible. Et en fait, cette donnée là, elle est très importante, parce que ça donne une indication sur la quantité d'étoiles totale dans l'Univers, et donc sur la quantité de galaxies.


Le but est également de comprendre comment les galaxies vont évoluer ?

Oui, tout à fait. Il y a plus de 13 milliards d'années, très peu de temps après ce qu'on appelle le Big Bang (même si c'est une mauvaise expression), de nombreuses galaxies se sont formées. Aujourd'hui, les galaxies sont encore en évolution, mais à cause de l'expansion de l'Univers, il n'y a plus vraiment de galaxies qui naissent. On a simplement des galaxies qui évoluent, parce que leur composition chimique change, parce qu'il y a quantité d'étoiles qui vieillissent, parce qu'il y a de moins en moins de gaz disponible...

Une photographie du télescope Hubble, une petite portion de l'Univers qui contient des milliers de galaxies. ©NASA, ESA and the HST Frontier Fields team
Une photographie du télescope Hubble, une petite portion de l'Univers qui contient des milliers de galaxies. ©NASA, ESA and the HST Frontier Fields team

J'essaie de calculer combien il y a de galaxies dans l'Univers, et combien il faut de masse totale de gaz pour former les galaxies que l'on voit. C'est encore un des points dur de l'astrophysique, et je m'intéresse plus spécifiquement - c'est mon deuxième champs d'étude - à la turbulence, parce que la turbulence affecte la manière dont le gaz refroidit. Or, ce phénomène n'est pas du tout pris en compte aujourd'hui, c'est quelque chose d'extrêmement complexe à capturer dans les modèles et dans les simulations des ordinateurs.


Quand vous parlez de turbulence, vous parlez des puits de gravité évoqués précédemment ?

Non, les puits de gravité résultent du phénomène d'accrétion : pour former une galaxie, il faut assembler la matière à un endroit. Par rapport au vide cosmique, il faut que la gravité fasse son travail et rassemble la matière. Mais ce qu'on pense, c'est qu'au cours de ce phénomène d'accrétion, de la turbulence est générée. En fait, la turbulence, c'est de l'agitation de gaz. Il y a une certaine dynamique chaotique qui est très difficile à comprendre : on n'a pas de théorie aujourd'hui.


Quels sont les grands enjeux de l'étude des galaxies pour le reste de l'astrophysique ?

En fait, l'évolution des galaxies est liée à l'évolution de l'espace-temps dans l'Univers. Chaque connaissance nouvelle sur les galaxies impacte notre connaissance de l'ensemble de l'Univers. Par exemple, lorsque l'on fait des comptages de galaxies, cela peut modifier la quantité de matière totale que l'on a dans l'Univers et donc, on impacte son évolution.

La galaxie M51, à 30 millions d'années lumières. ©NASA/CXC/SAO
La galaxie M51, à 30 millions d'années lumières. ©NASA/CXC/SAO

L'étude des galaxies impacte notre vision sur la formation des étoiles et des planètes. Tout ce que l'on étudie sur le gaz, la dynamique du gaz dans les galaxies, a un impact sur la quantité d'étoiles formées dans une galaxie. Et donc sur la quantité de systèmes exoplanétaires, de planètes... Chaque découverte change beaucoup la vision de formation de système planétaire comme notre propre système solaire.

En fait, une galaxie, c'est un peu la brique de base de l'étude de l'Univers. C'est une machine très  complexe, avec du gaz, de la matière noire, des planètes... Donc quand on étudie une galaxie à toutes ses échelles, tu étudies un peu l'ensemble des phénomènes dans l'Univers, sans parler des grandes échelles, les échelles intergalactiques, c'est encore autre chose.


Peut-on faire une analogie entre la brique élémentaire de la matière, l'atome, et la "brique de base de l'étude de l'Univers", les galaxies ?

On peut, mais la différence de base, c'est que ça fait un peu moins de 100 ans que l'on s'est rendu compte qu'il y avait plusieurs galaxies, c'est une découverte très récente, contrairement à la physique de l'atome, plus âgée. Mais en effet, les galaxies sont un peu des entités de base de l'Univers. L'Univers, c'est un peu une toile de galaxies reliées entres elles par ce que l'on appelle les filaments cosmiques.


Ces galaxies, elles pèsent sur toute la forme de l'Univers ?

Les galaxies, je les vois comme des entités élémentaires. L'Univers, c'est à peu près deux mille milliards de galaxies, mais ce ne sont pas les galaxies qui tissent cette toile. On construit un modèle physique, qui décrit le fonctionnement de l'Univers, et qui colle pour l'instant avec ce que l'on observe. Pour l'instant, c'est plutôt la matière noire qui tisse le lien entre les galaxies. Il y a de la matière noire mais il y aussi de la matière ordinaire : il y a un rapport entre la masse de la matière noire et la matière ordinaire. Donc le lien entre les galaxies, c'est plutôt la matière noire et ses filaments qui le font.

La matière noire est la première candidate plausible pour comprendre la structure, et donc la répartition des galaxies dans l'Univers.©NASA/CXC/MIT/M
La matière noire est la première candidate plausible pour comprendre la structure, et donc la répartition des galaxies dans l'Univers.©NASA/CXC/MIT/M

On ne peut pas dire que les galaxies "pèsent" dans l'Univers : c'est le contenu en matière de l'Univers qui créé la gravitation. On n'est plus dans la représentation de Newton que l'on a appris au lycée, mais dans la représentation de l'espace-temps, qui est décrite dans la relativité générale. C'est le contenu en matière de l'Univers qui crée la géométrie et donc la gravité, puisque la gravité n'est que de la géométrie, dans la description d'Einstein.


Comme l'image du drap tendu, avec la balle au milieu, qui déforme le drap et attire les plus petits à elle  ?

Non, ça ce n'est pas une très très bonne image en fait... C'est celle qui tourne le plus mais elle est assez mauvaise ! On a l'impression que ce sont les galaxies qui déforment l'espace, alors que c'est le contenu lui même de l'Univers qui crée sa géométrie, la géométrie est une conséquence du contenu en masse de l'Univers. Ce n'est pas des galaxies, qui flottent dans quelque chose qui est déformé par les galaxies, les deux sont liés. Il n'y a pas quelque chose sur quelque chose : c'est en ça que cette image est mauvaise. Il y a une réciprocité, même une équivalence. C'est ce que disent les équations d'Einstein, notamment une :  le membre de gauche est la matière, et le membre de droite est la géométrie, ou gravité, et il y a un signe "=" entre les deux, donc l'un est égal à l'autre ! C'est fondamental, mais très difficile à se représenter.

Léopold Picot

Si vous souhaitez passer plus de temps avec Pierre Guillard, il a également parlé du James Webb Space Telescope, ici.

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