La fusion nucléaire : l'énergie à quels prix ? 

02/01/2020

Dans le précédent article consacré à la fusion nucléaire, on avait découvert que les étoiles étaient faites de plasma. Ce plasma provoque la fusion nucléaire, grâce à la masse et à la taille de l'astre. La barrière énergétique empêche les hommes comme les étoiles de produire à l'infini une réaction de fusion, car il arrive nécessairement un moment où l'énergie dépensée pour provoquer une réaction afin d'obtenir de l'énergie est supérieure à l'énergie obtenue. Les scientifiques, confrontés dès le début à cette énergie d'activation, ont cherché des moyens de dépasser la barrière énergétique, au risque de provoquer des vagues de contestations.

Tore Supra, situé à Cadarache, est le prédécesseur d'Iter. Il sert de test depuis 1988 et détient le record de stabilité de plasma : plus de six minutes.
Tore Supra, situé à Cadarache, est le prédécesseur d'Iter. Il sert de test depuis 1988 et détient le record de stabilité de plasma : plus de six minutes.

Forcer la barrière énergétique : la bombe H

La première et plus sauvage solution que l'on a expérimentée pour dépasser la barrière énergétique de la fusion nucléaire, c'est l'utilisation de l'énergie d'une bombe atomique à scission nucléaire. Petit retour en arrière. Les bombes atomiques utilisées lors des explosions nucléaires d'Hiroshima et de Nagasaki en 1945 étaient des bombes A. Ces bombes atomiques utilisent la scission nucléaire pour provoquer des dégâts considérables. Le site Nukemap permet de simuler l'impact d'une bombe A comme celle de Nagasaki sur Paris :

Jusqu'au cercle orange, le pourcentage de décès est compris entre 90 % et 100 % de la population. Le cercle gris est la portée du souffle de l'explosion et synonyme de dégâts corporels importants (audition, vue...). ©Nukemap
Jusqu'au cercle orange, le pourcentage de décès est compris entre 90 % et 100 % de la population. Le cercle gris est la portée du souffle de l'explosion et synonyme de dégâts corporels importants (audition, vue...). ©Nukemap

Dans une bombe à hydrogène (bombe H), l'énergie de la scission nucléaire (bombe A)... ne sert qu'à allumer la bombe H pour provoquer une fusion.

Les effets de la plus grosse explosion d'origine humaine à l'échelle de Paris. ©Nukemap
Les effets de la plus grosse explosion d'origine humaine à l'échelle de Paris. ©Nukemap

Concrètement, une bombe H est composée de deux étages ou plus. Le première étage va provoquer une scission d'atomes, qui va activer une fusion au second étage, qui va déclencher une scission au troisième, puis une fusion au quatrième... L'Homme n'a jamais expérimenté qu'une bombe à hydrogène à deux étages, jamais plus. La plus importante explosion réalisée par l'Homme, de 50 mégatonnes, était déjà 4 000 fois plus puissante que la bombe atomique d'Hiroshima. C'était la Tsar Bomba, dont voici une présentation réalisée par Arte :

Parier sur la subtilité : la fusion par confinement magnétique

Mais revenons à nos moutons : la fusion nucléaire comme source d'énergie. Plutôt que de faire exploser notre monde, les scientifiques se sont rendus compte qu'il serait plus intéressant de contrôler la fusion nucléaire à une échelle plus réduite. C'est le but des tokamaks, du projet international Iter, bref, de toute la branche de la fusion nucléaire civile dont on a déjà parlé dans la première strate. Mais le problème, c'est l'énergie à utiliser pour activer la fusion. On ne peut pas utiliser l'énergie incontrôlable de la scission comme pour une bombe H. Les scientifiques ont donc cherché à recréer le plasma que l'on trouve au cœur des étoiles, tout en étant capable de le contenir. Mais avant cela, il a d'abord fallu trouver l'atome idéal, le carburant le plus malléable. pour la réaction de fusion.

L'hydrogène (à gauche) et l'un de ses isotopes, le deutérium. ©UFE-Observatoire de Paris
L'hydrogène (à gauche) et l'un de ses isotopes, le deutérium. ©UFE-Observatoire de Paris

Deux variantes de l'hydrogène (1H)* ont été choisies : ces atomes sont plus faciles à faire fusionner que le 1H*. Une variante d'un atome, on appelle cela un isotope : il a plus ou moins de neutrons que l'atome de base, mais garde le même nombre de proton. Dans le cadre de l'hydrogène (1H*), les isotopes intéressant pour la fusion sont le deutérium (2H*) et le tritium (3H*). Le deutérium peut s'obtenir facilement : il est présent dans l'eau en assez grande quantité. Le tritium est très rare et  radioactif. On peut cependant en obtenir en divisant un atome de lithium à l'aide d'un neutron : on créera alors de l'hélium et du tritium. 

Une fois le tritium et le deutérium obtenu, on confine le plasma avec un champ magnétique dans un tokamak, afin d'éviter de détruire le contenant. Le problème, qui est finalement aussi un avantage, c'est que pour confiner un plasma dans un champ magnétique, il faut que ce plasma soit de faible densité. Dans un tokamak de la taille d'Iter, 830 mètres cubes, ce ne seront que quelques grammes de matière qui seront transformés en plasma pour être confinés. Cela réduit la quantité de matière à produire, mais augmente la température à générer pour agiter suffisamment les atomes et provoquer la fusion. Iter devra par exemple atteindre 150 millions de degrés

La Z machine américaine a déjà dépassé les deux milliards de kelvins.
La Z machine américaine a déjà dépassé les deux milliards de kelvins.

C'est un palier qui a déjà été largement franchi sur d'autres machines, mais qui, pour la forme d'un tokamak et avec les matériaux d'un tokamak, reste pour l'instant un obstacle majeur à la réussite du projet. Si le matériaux de confinement tient, le deutérium fusionnera alors avec le tritium pour créer de l'hélium tout en rejetant un neutron.

Les avantages de la fusion nucléaire

L'avantage de la fusion nucléaire, c'est que dans l'idéal, elle peut ne pas créer de déchets radioactifs. Si toutes les réactions s'enchaînent comme prévues et que le tritium est créé à l'intérieur même du Tokamak (comme certaines pistes l'imaginent), il n'y a pas de risque de radioactivité : le seul rejet de matière est de l'hélium. Même en cas d'accident et de fuite, la contamination radioactive serait très faible : on l'a vu, il n'y a que quelques grammes de matières au sein d'un réacteur expérimental comme Iter. Si le réacteur s'emballait, la réaction ne pourrait pas durer plus de quelques secondes, le carburant étant très réduit. Le but d'Iter n'est pas de produire de l'énergie à l'échelle industrielle. Il sert simplement d'expérimentation, pour que dans vingt ans, l'étape industrielle Demo puisse amorcer la création d'électricité civile. 

Un projet controversé 

Reste que la fusion nucléaire peine à convaincre. Le coût du projet Iter est passé de 5 à 18 milliards d'euros. La plupart des opposants au projet dénoncent le coût faramineux de construction qui aurait pu être mis dans des énergies renouvelables qui fonctionnent. Les défenseurs rétorquent que le nombre de pays engagés dans le projet (35 pays), rend le coût bien plus supportable. Pour les détracteurs, le projet est voué à l'échec, car des problèmes majeurs n'ont pas été résolus. Si sur la papier, la fusion nucléaire fait rêver et fonctionne, la résistance des matériaux de confinement aux neutrons et aux disruptions, la production de tritium à grande échelle, la récupération de la chaleur émise sont autant de barrières qui empêchent la fusion nucléaire d'avancer plus vite. 

Une marche anti-nucléaire en 2014 sur le site de Cadarache.
Une marche anti-nucléaire en 2014 sur le site de Cadarache.

Dans le cas particulier d'Iter, le projet international est soupçonné par ses opposants de servir de couverture au lobby du nucléaire pour empêcher le développement des énergies renouvelables. Le site naturel de Cadarache est également touché par le développement des infrastructures bétonnées et par une perte de sa biodiversité.

Léopold Picot


Si la fusion vous intéresse toujours, vous pouvez écouter ce podcast de France culture, ou vous renseigner sur la fusion nucléaire par confinement inertiel, en lisant ce document


*Le site internet n'autorise pas les exposants. Le 1 de H, comme le 2 de H etc, sont censés être en exposant.

Créez votre site web gratuitement ! Ce site internet a été réalisé avec Webnode. Créez le votre gratuitement aujourd'hui ! Commencer