Fake news. Étudier les virus

24/04/2020

Le confinement se poursuit et avec lui les fake news sur le coronavirus. Lien avec le virus du Sida, échappé d'un laboratoire chinois, manipulé génétiquement par l'Homme... Qu'est ce qu'un laboratoire P4 ? Le SRAS-COV-2 a-t-il pu s'en échapper ? Est-il lié d'une quelconque manière avec le virus du Sida (VIH) ? (SPOILER : pas vraiment du tout)

Des chercheurs au sein du laboratoire P4 Jean Mérieux de Lyon. © AFP - Philippe Desmazez
Des chercheurs au sein du laboratoire P4 Jean Mérieux de Lyon. © AFP - Philippe Desmazez

C'est la rumeur du moment sur le coronavirus. Le virus se serait échappé d'un laboratoire P4, à Wuhan. Le 16 avril 2020, Mike Pompeo, chef de la diplomatie américaine, prend des pincettes : "Ce que nous savons, c'est que ce virus est né à Wuhan, en Chine (...) [et] que l'Institut de virologie de Wuhan n'est qu'à quelques kilomètres du marché de rue". Emmanuel Macron, dans une interview au Financial Time, déclare le 16 avril : "Il y a manifestement des choses qui se sont passées qu'on ne sait pas." Il n'en fallait pas plus pour que les fake news affluent : le virus aurait été génétiquement modifié, relâché par les Chinois pour qu'ils puissent assurer le leadership mondial, croisé avec le VIH.... S'il est encore trop tôt pour invalider l'hypothèse d'une erreur humaine, il est formellement impossible que le virus soit d'origine humaine.

Pathogène de classe 4

Effectivement, il y a un laboratoire d'étude des virus à Wuhan. Loin d'être un laboratoire parmi d'autres, il est intégré à l'institut de virologie de Wuhan, et est le premier laboratoire chinois à avoir obtenu la certification P4 en 2015, année de fin de travaux, pour pathogène de classe 4.

Le laboratoire P4 de Wuhan. ©AFP
Le laboratoire P4 de Wuhan. ©AFP

Les pathogènes sont des micro-organismes (bactéries, virus), capables de provoquer des maladies, des altérations physiques sur des être vivants. La classe 4 est le dernier échelon du classement des pathogènes. Elle réunit les virus générant soit des fièvres hémorragiques, soit des maladies infectieuses fortement contagieuses, comme la variole. Le but d'un laboratoire P4 est de mettre en évidence des virus potentiellement dangereux dans des échantillons biologiques (diagnostic) ou de faire des recherches sur un potentiel remède.

Bernard Cazeneuve, Premier ministre, visite le laboratoire de Wuhan en 2017. ©Reuters
Bernard Cazeneuve, Premier ministre, visite le laboratoire de Wuhan en 2017. ©Reuters

Le premier laboratoire P4 de Chine est le fruit d'une coopération entre la Chine et la France, dès 2004. Après l'épidémie du syndrome respiratoire aigu sévère (SRAS) de 2003, la diplomatie chinoise a réussi à obtenir l'aide de la France pour construire son laboratoire, et plus précisément, l'expertise du laboratoire P4 Jean Mérieux, à Lyon. Pendant une dizaine d'années, des ingénieurs français ont construit le laboratoire de Wuhan avec des ingénieurs chinois et des biologistes chinois sont venus se former dans le laboratoire de Lyon. Là-bas, ils ont suivi pendant des mois, des années, une formation, en répétant des milliers de fois les mêmes gestes, pour se conformer aux protocoles sanitaires. Le but étant d'acquérir des automatismes.  Après 2015, la coopération n'a jamais vraiment décollé, malgré quelques visites sporadiques. Contrairement à ce qui était prévu, les 250 chercheurs qui devaient occuper le centre de recherche de Wuhan n'ont toujours pas été conviés, et seuls quelques scientifiques chinois travaillent dans le laboratoire.


Des mesures de sécurité drastiques

Les mesures de sécurité des laboratoires sont drastiques et inscrites au burin dans le marbre des cerveaux des scientifiques lors de leurs années de préparation à Lyon. Les laboratoires P4 sont prévus pour être totalement étanches. La zone de manipulation de l'agent pathogène n'est accessible que par des sas de décontamination.

La chercheuse Shi Zhengli au sein du laboratoire P4 de Wuhan.  ©AFP PHOTO / Johannes EISELE
La chercheuse Shi Zhengli au sein du laboratoire P4 de Wuhan. ©AFP PHOTO / Johannes EISELE

Dans ces sas, chaque élément en contact avec l'air est scrupuleusement décontaminé. Dans tout le bâtiment, un système de filtration de l'air, bloque l'intégralité des micro-organismes en circulation. Les scientifiques ne peuvent entrer qu'avec des scaphandres, qui sont aspergés dans des douches de décontamination avant et après chaque utilisation.  Ces scaphandres fonctionnent avec un tuyau (en bleu sur la photo), qui maintient l'air emprisonné dans la combinaison en surpression, pour qu'en cas de fuite, l'air s'échappe du scaphandre plutôt qu'il ne rentre.


Causalités et corrélations

Dans un reportage paru dans Le Monde, Shi Zengli, spécialiste des coronavirus et  directrice adjointe du laboratoire P4 de Wuhan, a raconté avoir paniqué lors de l'amorce de l'épidémie. Elle déclare s'être bien entendu demandé si elle avait une part de responsabilité dans la propagation de l'épidémie. Des enquêtes sont actuellement en cours. Dans tous les cas, le virus ne peut pas avoir été créé par l'Homme : le code génétique du virus SRAS-CoV-2 ne porte pas l'empreinte de l'Homme. Cependant, oui, il est possible (pas probable, pas certain) qu'une erreur humaine soit à l'origine d'une fuite de laboratoire. Sur le papier, ce n'est pas improbable, c'est déjà arrivé, aux États-Unis comme en France, sans conséquences cependant. Néanmoins, rien ne le confirme dans le cas de Wuhan.

D'anciennes représentations de chauve-souris, numérisées par la Biodiversity Heritage Library. ©BHL
D'anciennes représentations de chauve-souris, numérisées par la Biodiversity Heritage Library. ©BHL

Le problème, avec la théorie de la fuite du laboratoire, c'est qu'elle confond causalité et corrélation. Dans la province de Hubei existe une forte concentration de chauve-souris, réservoirs à coronavirus. Par conséquence, -causalité- on y a installé un laboratoire pour étudier ces virus. Néanmoins, dans le cas de la fuite de labo, on est sur une corrélation : nécessairement, vu que le laboratoire est implanté dans un endroit où les coronavirus sont nombreux, en cas d'épidémie, le laboratoire est en première ligne des soupçons. Mais reste que rien ne prouve pour l'instant que l'apparition du coronavirus serait le fruit d'une erreur humaine, et les premiers éléments montrent au contraire une cause naturelle.

Extrait d'une séquence du SAR-CoV-2. Les lettres sont des briques d'ADN ou d'ARN. ©Institut Pasteur
Extrait d'une séquence du SAR-CoV-2. Les lettres sont des briques d'ADN ou d'ARN. ©Institut Pasteur

Les premières analyses du code génétique du coronavirus ne trouvent aucune intervention humaine, mais bien une source naturelle. Dans tous les cas, la chauve-souris  (hôte primaire) a contaminé un pangolin (hôte intermédiaire), qui, mangé par l'homme, a provoqué la situation actuelle. Pour savoir si oui ou non un virus -non modifié dans tous les cas, encore une fois- s'est échappé d'un laboratoire, il va falloir attendre les premières conclusions des enquêtes.

Le coronavirus a-t-il un rapport avec le VIH ?

Non. De la même manière que le code génétique ne démontre aucune intervention humaine, aucun doute n'est permis sur un possible croisement entre le virus du sida et le coronavirus SRAS-CoV-2. La fake news provient d'une étude postée par une université indienne, sur un site de pré-publication (donc non soumis aux avis des pairs), retirée depuis et dont les chercheurs ont tenu à préciser les conclusions, pour éviter toute mésinterprétation. Dans cette étude, il est montré qu'une partie du séquençage génétique du virus SRAS-Cov-2 correspond à celui du VIH.

Sauf que. Sauf que la séquence commune est ultra courte. Pour donner un ordre d'idée, c'est comme si l'on avançait que Old town road de Lil Nas X s'inspirait de La Mauvaise réputation de Brassens parce qu'on trouve dans les deux morceaux un si bémol à un moment.  La séquence commune, d'après Massive Science, ne se retrouve pas seulement chez le VIH et le coronavirus, mais aussi chez un herpèsvirus de souris,  une mononucléose de rat ou un virus de patates douces.

Léopold Picot


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