Sujet d'invention : une exoplanète viable

11/03/2020

Écriture sur thème (3500 signes max)

"Putain, ça caille !"

200 000 kilomètres parcourus par seconde, une absence totale de conscience pendant 500 ans, et ce fut la première pensée qui lui traversa l'esprit. Le corps nu bardé d'électrodes de Yann frissonnait, échoué sur le métal froid de l'habitacle. Le jeune homme, âgé de 530 ans, essuya doucement ses paupières pour en enlever le liquide techmiotique. En forme physiquement, ses muscles stimulés par les électrodes, il n'avait que trente petites années, mais ces 500 ans en sommeil artificiel l'avaient épuisé mentalement. Yann se releva difficilement, l'esprit embrumé. Ce 17 juin 2620, à 8h, comme prévu, la mission Lazarus était arrivée à destination.

"Merde, merde, merde !" En trois heures, Yann avait activé manuellement les dix capsules de stase. Alexis et Jean avaient perdu goutte par goutte leurs liquides techmiotiques. L'étanchéité des capsules avait été bâclée par les ingénieurs, pressés qu'ils étaient par le Cataclysme. Léonie, Philémon et Rachel dépendaient du même générateur de nutriment. Ils avaient manqué de nourriture 350 ans après le départ, leur tuyau d'alimentation grignoté par un imperceptible oscillement. Xi, Filipine et Roman ne se réveillaient pas. Yann avait attendu une heure à leurs côtés, en vain. Le capitaine supposait une mort rêveuse : ils s'étaient perdus dans leurs rêves, et ne reviendraient jamais. Il les avait rebranchés : tous trois rêveront jusqu'à ce que le Lazare soit à court d'énergie. Les deux dernières capsules contenaient des foetus. Déformés par la vitesse de déplacement, ils n'avaient pas survécu. Encore une fois, l'empressement des scientifiques les avait poussés à ne pas faire d'essai avant de mettre les embryons dans leur capsule.

Pas un seul autre membre de la mission n'était en vie. "Je suis seul", réalisa Yann. De grosses larmes s'échappèrent de ses orbites caverneuses. Elles suivaient mollement les crevasses dans ses pommettes, creusées méticuleusement, en cinq cents ans, par une surdose d'acide amniotique dans sa capsule. Il appuya sa tête contre le seul hublot de l'habitacle, et ne regarda même pas l'exoplanète JWST2262677A qui s'offrait à ses yeux fatigués. Le bruit sourd et régulier du moteur nucléaire lui indiqua que l'atterrissage automatique s'était activé sans qu'il n'eut rien à faire. Lazare fonçait vers la renaissance de l'Humanité.

Dans la cale, les réserves d'utérus et d'ovules artificiels étaient complètes et en bonne santé. "Ah ça, ils l'ont pas raté, ils savent y faire", marmonna Yann dans sa combinaison. Il pourrait, s'il le voulait, essaimer la vie sur la planète. Mais avant, il devait s'occuper des cadavres. Il sauta par la trappe. Le sol était spongieux et rouge. Comme prévu, l'air était irrespirable, mais facilement convertissable dans une bulle de protection. Les espèces végétales de Terre se chargeraient, une fois déployées, de convertir le carbone en oxygène. Yann tira un à un les cadavres de ses amis. La bulle s'était automatiquement déployée autour du vaisseau.

Après de longues heures à creuser à la main la fosse, il les avait enterrés. Il avait activé le système de procréation et de végétalisation. Le silence le rendait fou. Le système son du vaisseau était hors-service. Sa propre voix lui revenait comme un cri strident. Il n'en pouvait plus. Hurlant de rage, il fonça dans la bulle de protection avec les dernières forces qui lui restaient, sans sa combinaison. Deux pas plus loin, il s'effondra, congelé.

Putain, ça caillait.

Léopold Picot

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