Le pergélisol, une bombe climatique ?
Le pergélisol sonnera peut-être plus aux oreilles anglophiles sous son nom anglais, "permafrost". "Frost", pour gel, "perma" pour permanent, l'objet est facile à décrire mais les conséquences de son dégel sont complexes. Que se passera-t-il lorsque le pergélisol, le sol toujours gelé de l'hémisphère Nord, fondra complètement ?
La lutte contre le réchauffement climatique est-elle perdue d'avance ? Méconnu il y a encore quelques années du grand public, le pergélisol a vite obtenu l'aura équivalente à celle de la couche d'ozone, devenant l'une des grandes inconnues de la lutte contre le réchauffement climatique. Ce dernier pourrait bien annihiler les futurs efforts de la communauté internationale en matière de lutte contre les émissions de gaz à effets de serre (GES), en émettant des quantités exceptionnelles de dioxyde de carbone et de méthane, piégés sous ses glaces.
Le pergélisol, mot-valise créé à partir des mots "permanent", "gel" et "sol", couvre environ 25% des terres émergées de l'hémisphère Nord. Il se concentre principalement en Alaska (80% des terres alaskiennes), au Canada (50% des terres canadiennes) et en Europe du Nord et en Sibérie (47.5% des terres). Cette surface correspond à environ 23 millions de kilomètres carrés, soit près de trois fois la surface de l'Australie !
Le pergélisol, comme son nom l'indique, est un sol gelé toute l'année, pendant au moins deux ans. Il a une épaisseur qui peut aller jusqu'à mille mètres selon les régions et se situe entre deux couches du sol, la couche active, au-dessus, et le sol non-gelé, en-dessous.
En effet, lorsque l'on atteint une certaine profondeur, le sol a tendance à se réchauffer (voir schéma ci-dessus), il se dégèle alors progressivement. Lorsque l'on parle du pergélisol qui dégèle, on parle en fait de la couche active, qui gagne du terrain sur le pergélisol. La couche active gèle et dégèle saisonnièrement, et, avec le réchauffement climatique, elle est de plus en plus dégelée et va de plus en plus profond.
Le pergélisol, un pet de vache massif
Le pergélisol contiendrait 455 milliards de tonnes de GES, soit l'équivalent de plus de cent années des émissions mondiales actuelles. Des études estiment le rejet de GES par le pergélisol à 1,5 milliards de tonnes par an, soit le rejet des émissions japonaises chaque année (cinquième pollueur mondial en 2017).
Comment expliquer un tel rejet ? Principalement par la matière organique contenue dans le pergélisol. Le sol est composé de matière organique. Or, tout le monde connaît l'effet des pets de vaches sur l'environnement : elles rejettent du méthane, et ce méthane provient de la matière organique digérée par l'estomac de la vache. En fait, le pergélisol, c'est comme un pet de vache gigantesque et très lent : la matière organique contenue en son sein va peu à peu se décomposer avec sa fonte, car des micro-organismes vont pouvoir enfin accéder à cette matière. Ces micro-organismes vont alors rejeter du gaz carbonique.
La fonte actuelle du pergélisol est estimée à 30% dans le scénario le moins pessimiste d'ici 2100, ce qui provoquerait le rejet de 160 milliards de tonnes de GES dans l'atmosphère, soit près de 5 années d'émissions mondiales (3,5 milliards de tonnes/an).
Le truc, c'est que le phénomène de fonte pourrait bientôt atteindre son point de basculement. Le point de basculement, c'est le moment où le pergélisol émet assez de GES pour créer une boucle rétroactive : ce qu'il rejette va réchauffer la planète, ce qui va le faire fondre, ce qui va réchauffer la planète, ce qui va le faire fondre... bref, c'est un terrible cercle vicieux.
D'autres risques ?
Mais les mauvaises nouvelles ne s'arrêtent pas là. Les risques sont également matériels et sécuritaires, sanitaires, et écosystémiques. Matériels et sécuritaires, car l'Humanité ne s'est pas demandée, lorsqu'elle a construit ses bâtiments et ses villes, si le sol était glacé ou non. Or, des millions d'habitants, en Amérique du Nord et en euro-Sibérie, vivent sur du pergélisol. Lorsqu'il fond, il ne prévient pas, et des bâtiments, des routes, des ponts s'affaissent.
Sanitaires, car le sol glacé date parfois de plusieurs milliers d'années. Il a donc emprisonné des espèces de virus et de bactéries disparus depuis longtemps. Ces bactéries et virus, que pour certains on ne connaît pas, pourraient être très dangereux pour les organismes vivant sur Terre, nous inclus : nos systèmes immunitaires ont depuis longtemps oublié comment se protéger face à eux.
Écosystémiques, car outre le rejet de GES, l'affaissement du pergélisol peut également déstabiliser des écosystèmes entiers et détruire le fragile équilibre des massifs montagneux.
Léopold Picot