Sujet d'invention : cataclysme climatique

03/02/2020

Écriture sur thème (3500 signes max)

Elle survolait les carcasses des navettes de police, plongeait sous les ponts à moitié effondrés, dont les structures décharnées semblaient former des portes vers un autre monde. Ses pieds effleuraient la boue sans qu'une seule fois elle ne perde ses appuis. Il pleuvait pourtant fortement. Un voile d'eau épais s'abattait sur la côte, l'eau du ciel se mêlait à l'eau de la mer, le tout alourdi par l'épaisse lumière bleutée provenant des frontières. Le bleu des barrières inondait les Zones Exclues jusqu'aux régions les plus isolées. Rien n'échappait à ce bleu qui collait à la peau, ce bleu sale et électrique aux relents de sel et des cadavres frontaliers.

Une balle fabriquée artisanalement siffla à ses oreilles. Le salopard était armé à l'ancienne. Le corps de la jeune femme, bien que athlétique, commençait à fatiguer. Elle courait depuis près de deux heures et elle avait eu le temps de traverser plusieurs anciennes îles. En quarante ans, les Keys s'étaient muées en une longue bande de terre coupée du continent. La mer s'était retirée en laissant comme seuls vestiges de son passage les ponts qui reliaient les îles entre elles, jusqu'à la Floride. Les rares scientifiques encore présents sur Key Island considéraient que le retrait de la mer était surtout dû aux barrières de plasma dont la chaleur avait modifié les courants. Cuba avait perdu la moitié de sa surface cultivable par la montée des eaux et les Keys s'étaient peu à peu unies en une seule et même gigantesque presqu'île par son retrait.

Elle accéléra le pas, malgré le supplice qui envahissait ses jambes. Elle sautait maintenant de rocher en rocher, au bord d'une mer calme, après le pont. La forêt de mangrove n'était pas loin. Peut-être que si elle l'atteignait, elle pourrait semer son poursuivant. Elle jeta un coup d'œil derrière elle. Il était dans la force de l'âge. Son tee-shirt, figé par le sel, ne bougeait quasiment pas malgré sa course effrénée. L'eau courante n'existait plus dans les Zones Exclues. Le processus de dessalement était long. Utiliser de l'eau douce pour laver les vêtements aurait relevé de l'hérésie quand des centaines d'individus survivaient avec quelques gouttes par jour.

La plage se réduisait petit à petit et la forêt de mangrove commençait à prendre le pas sur le sable. Elle faisait l'équilibriste de racine en racine en évitant le plus possible le sol spongieux. Le saumon se balançait dans sa main gauche au rythme de ses foulées. Elle l'avait presque oublié. Vu sa taille, il devait se vendre facilement plus de mille dollars, ce qui expliquait l'acharnement du poissonnier. Mille dollars, c'était une somme suffisante pour vivre un mois à l'abri du besoin. Elle n'allait pas tenir plus longtemps, les crampes commençaient à envahir ses cuisses. Un coup de feu de plus vint exploser le tronc de la mangrove sur sa droite. Les tirs se faisaient de plus en plus précis. Elle risquait d'y passer. Elle regarda d'un air triste son saumon. Brusquement, elle se retourna et le jeta à la figure de son poursuivant, qui s'arrêta pour le récupérer.

« - C'est ça, dégage salope, avant que je te plombe ! » hurla le poissonnier, rouge de colère.

Elle manqua de s'arrêter pour aller lui mettre une droite. Se souvenant du pistolet, elle ravala sa fierté et continua sa course. Elle aura sa revanche, mais plus tard. Une fois à distance raisonnable de l'homme au pistolet, elle ralentit le pas. La rage laissa place à la fatigue et aux pleurs nerveux. Nina fêtait ses dix neuf ans aujourd'hui, et c'était la troisième fois qu'elle risquait sa vie.

Léopold Picot

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