Biomass : la science européenne au service de la planète
Dès l'an prochain, un nouveau satellite européen va quitter le plancher des vaches pour étudier non pas l'espace, mais notre Terre. L'objectif est de calculer l'intégralité de la biomasse végétale présente sur notre planète, afin d'estimer la quantité de carbone que stocke les écosystèmes.

On dit souvent que l'Union européenne peine à s'imposer face à la souveraineté des pays membres, dans les domaines sociaux et écologiques. Pourtant, il y a bien un domaine dans lequel l'Union européenne a su fédérer : la recherche et l'exploration spatiale. Mieux, même. Elle a réussi à allier sa force, l'espace, avec l'écologie, dans le but d'étudier les écosystèmes dans notre planète.
Une souveraineté spatiale réaffirmée
Sans prendre en compte le Brexit, qui n'a pas encore considéré la question de l'Esa pour le Royaume-Uni, 20 des 27 États membres font partie de l'Agence spatiale européenne (Esa). La Suisse et la Norvège, non-membres de l'Union européenne, s'y sont ajoutées. La plus célèbre réalisation de cette agence est le lanceur Ariane.

Depuis sa création en 1975, l'Esa a réussi à s'imposer dans l'espace, d'abord face aux concurrents russes et américains, puis, aujourd'hui, face aux géants chinois et américains. Des vols habités vers la Station spatiale internationale (ISS), au satellite de géolocalisation Galileo pour remplacer le GPS américain, en passant par l'exploration du système solaire (Rosetta, première sonde à poser un atterrisseur à la surface d'une comète). Ses réalisations, loin d'être toutes rentables, sont avant tout le fruit d'une vision politique : il faut s'émanciper de la tutelle américaine, voire russe ou chinoise, pour gagner en souveraineté. Le lanceur léger Vega s'inscrit dans cet objectif : éviter de dépendre totalement des lanceurs russes Soyouz pour les charges légères.
Le réchauffement climatique, un enjeu terrestre et spatial
L'Esa a décidé ces dernières années d'investir le champs de la recherche environnementale. Il faut savoir que la protection de l'environnement passe avant tout par une meilleure compréhension de ce dernier. En ayant des données solides, actualisées, sur le fonctionnement de notre planète et de ses écosystèmes, nous sommes plus à même de la protéger. Dans cette optique, l'agence a développé un programme, Living Planet composé de deux branches, Earth Watch et Earth Explorer. C'est cette dernière qui nous intéresse.

Les missions de la branche Earth Explorer sont diverses, nombreuses, certaines achevées, d'autres en cours ou en projet. Parmi les six missions passées ou en cours, on peut citer ADM-Aeolus, qui étudie les vents (circulation atmosphérique), CryoSat, qui évalue l'avancée ou le recul des glaciers et de la banquise, ou encore SMOS, qui calcule la salinité des océans et l'humidité des terres.
Biomass, septième merveille de technologie
En mai 2013, Biomass a été sélectionné pour faire partie de la 7ème mission Earth Explorer, et devrait décoller en 2022. Ce satellite va permettre d'étudier la biomasse végétale terrestre, facteur essentiel dans le cadre de l'étude du réchauffement climatique. En effet, les végétaux terrestres font partie du cycle du carbone. S'ils pèsent moins dans la capture du carbone face aux océans, dont les planctons sont de véritables pièges à CO2 (voir schéma ci-dessous), la biosphère reste très importante pour assurer une concentration de CO2 acceptable dans l'atmosphère.

D'où l'intérêt de Biomass : avec ses instruments, il va mesurer les surfaces précises occupée par les différents types de végétaux (forêts primaires, secondaires), leurs densités, et l'impact de l'homme sur ces espaces (déforestation, appauvrissement des sols), pour mieux comprendre le cycle du carbone.
Pour se faire, le satellite est équipé d'un radar d'une qualité exceptionnelle : le radar à synthèse d'ouverture (RSO), capable de cartographier, en 3D ou en 2D, les environnements à étudier. Le RSO se base sur l'interférométrie et la polarimétrie.

L'interférométrie est une technique qui, à partir d'une source de lumière divisée par des miroirs puis réunie de nouveau va permettre d'obtenir plus de données qu'en une seule image. La polarimétrie va, elle, servir à caractériser l'objet qui réfléchit le rayon polarisé envoyé par le radar. Lorsqu'un rayon de lumière est émis par une source vers un objet, cet objet va absorber une partie de la lumière et en renvoyer une autre partie : cette autre partie, récupérée par le radar, va donner une information sur le type de surface de l'objet (feuille, type de sol, etc).
Les applications concrètes
Deux fois par an, Biomass, équipé de son RSO, va obtenir des informations sur une même surface. Ainsi, il va être possible d'étudier l'évolution de cette surface, si sa densité a changé, si sa surface a réduit, augmenté, la hauteur d'une forêt... On sera ainsi à même de déduire de ces données la quantité totale de carbone stockée par les forêts, développant ainsi l'exactitude de notre quantification du cycle du carbone.

Outre cet intérêt scientifique, l'Esa n'exclut pas que ses données pourraient également être un jour utilisées pour surveiller les pratiques d'entreprises ou d'États peu scrupuleux. En effet, en repassant plusieurs fois sur la même surface, deux fois par an, il va être possible de surveiller la déforestation.
Léopold Picot