Aviation. Un vol écologique est-il possible ?

Augmentation du trafic
Le trafic aérien ne cesse d'augmenter. La réduction des coûts des billets d'avion, le développement d'une classe moyenne dans de nombreux pays émergents, la baisse de compétitivité du train a renforcé l'envol économique des compagnies aériennes. En France, le trafic aérien a presque doublé en 20 ans, passant d'environ 75 millions de passagers (vers l'intérieur et l'international) en 1997, à 164 millions de passagers en 2017 (source : DGAC, Bulletins statistiques de 1997 et 2017).

Au niveau mondial, le nombre de passagers a été multiplié par huit en 40 ans, avec 500 millions de passagers en 1977, contre 4 milliards en 2017. D'après l'Association des compagnies aériennes internationales (IATA), le phénomène devrait s'accentuer d'ici 2037 : le nombre de passagers devrait de nouveau doubler, pour passer à 8,2 milliards de voyageurs aériens annuels. Dans ces conditions, si rien n'est fait, la pollution des avions va augmenter exponentiellement.
Enjeu environnemental
Le coût écologique du trafic aérien existe, c'est un fait, mais il est compliqué de calculer l'intégralité des impacts de l'avion sur l'environnement. Chaque kilomètre en avion fait émettre à une personne 285 grammes de CO2, quand le train en émet 14 et la voiture 158 (voir rapport de l'Agence européenne pour l'environnement ici). Le trafic aérien mondial est ainsi responsable de près de 1 000 mégatonnes par an soit 13% des émissions de CO2 du secteur mondial des transports, et 2% des émissions globales.
Le problème, c'est que outre le CO2 provoqué par la combustion du kérosène, qui se calcule facilement, l'avion rejette d'autres particules et crée d'autres bouleversements, beaucoup plus difficiles à prévoir.

Comme on le voit sur le schéma ci-dessus, un avion (enfin ses réacteurs) rejette également, entre autres, de l'oxyde d'azote (Nox), qui provoque les pluies acides.
Une conséquence méconnue de la circulation aérienne est l'impact des traînées blanches. Appelées traînées de condensation, ces longs nuages blancs laissés par le passage d'un avion sont loin d'être innocents. À une certaine altitude, lorsque les conditions de température et d'humidité sont réunies, les gaz d'échappement des réacteurs d'avion provoquent une traînée de condensation. En sortant, les particules d'eau se subliment, se transforment en glace, et restent en l'air quelques secondes... voire quelques heures. Lorsque la traînée reste plusieurs heures, elle peut se transformer en cirrus, un type de nuage.

Le truc, c'est que les cirrus accentuent un effet de l'atmosphère, appelé albédo. L'albédo, c'est le terme générique pour quantifier la capacité de réflexion d'une surface : la neige a un albédo élevé (plus de 0,75 sur une échelle de 1), un goudron noir très faible. Les cirrus formés par les traînées de condensation participent au réchauffement climatique, en retenant la nuit, comme des nuages classiques, la chaleur infrarouge.
Consommer moins pour voler plus
Alors, comment faire pour diminuer l'impact de nos avions sur l'atmosphère ? Peu de pistes sont vraiment convaincantes. En voici quelques unes, qui, sauf en cas de rupture technologique (innovation exceptionnelle) n'arriveront pour autant jamais à compenser totalement l'augmentation du trafic aérien tel qu'il est estimé pour les prochaines années.
Depuis le début de l'aviation, et contrairement à ce que l'on pourrait croire, la consommation énergétique au siège a déjà diminué de 80%. C'est énorme, mais insuffisant : encore une fois, l'augmentation exponentielle du trafic aérien a rendu caduque ces progrès. L'efficience des moteurs est le premier objectif des constructeurs actuels. Avant même l'hybride ou le solaire, c'est cette piste qui a été favorisée, car moins coûteuse. Des avions comme les Airbus A320neo, consomment jusqu'à 10% de kérosène en moins, et le Airbus A321neo, qui a décollé en 2016, a réduit sa consommation de 30%. Cela, grâce a des innovations, notamment dans l'aérodynamisme et les moteurs.

Un autre moyen simple de réduire la pollution est d'optimiser les trajectoires des avions. Par exemple, au niveau d'un aéroport, un avion qui amorce son atterrissage par pallier produit jusqu'à 500 kg de CO2 en plus qu'en ligne droite. Ici, c'est l'intelligence artificielle qui devrait prendre le relais afin d'optimiser les trajets des avions.
Innovations
Les avions hybrides ou solaire sont également à l'étude. Le problème des avions électriques, c'est qu'ils embarquent des batteries. Or, on augmente mécaniquement la masse des avions si on leur ajoute des batteries. Dans un article des Échos en date du 31 mai 2019, on estimait qu'il fallait embarquer 170 tonnes de batteries pour faire décoller un A320, alors que ce dernier ne supporte une masse au décollage maximum de 80 tonnes. D'ici 2030, l'électrique sera peut-être une solution viable, mais seulement pour des avions légers, d'une dizaine à une vingtaine de passagers, sur de courtes distances (inférieures à 400 kilomètres).

L'utilisation de biocarburants est la solution à court terme visée par les constructeurs. C'est également un enjeu économique pour les compagnies aérienne, car le coût du kérosène vaut pour 30% de la consommation finale. Le biokérosène, loin d'être bio, consiste à mélanger du kérosène avec de la biomasse, comme de l'huile. Des vols utilisant 10% de farnesane (un carburant de sucre de canne) ont déjà été accomplis. Le farnesane permettrait de réduire de 80% les émissions de gaz à effet de serre par rapport au kérosène. Mais comme écrit ci-dessus, les avions qui ont réussi à voler avec de farnesane utilisaient 90% de kérosène. De plus, les biocarburants ne sont pas une solution de long terme : l'utilisation de ressources agricoles, leur transport, risquent de leur donner un bilan carbone égal à celui de kérosène.

Le seul véritable espoir serait une rupture technologique au niveau de l'hydrogène. Comme dans tous les secteurs énergétique, l'hydrogène pourrait résoudre de nombreux problèmes.... si l'on résout déjà les blocages liés à sa propre conception/production/conservation. Un article viendra peut-être plus tard sur cet enjeu passionnant.
Changement de mentalités
Finalement, la seule solution viable et durable reste de diminuer le trafic aérien. Comme on l'a vu ci-dessus, les alternatives sont limitées, pour l'heure trop peu efficientes. Le conditionnement de l'aide financière étatique à la réduction des vols intérieurs d'Air France est une bonne chose, mais ne concerne qu'une seule compagnie. Un avion, lorsqu'il décolle et atterrit, consomme deux fois plus que pendant sa phase de vol.

Sur le schéma ci-dessus, on voit bien que les deux tiers des émissions d'un avion sont liés au décollage, à l'atterrissage et au déplacement au sol. Ce ne sont donc pas les long-courriers qui consomment le plus, mais les courts et moyens : leur bilan carbone au kilomètre est catastrophique. Il est donc nécessaire, pour réduire l'impact environnemental de l'avion, de réduire les vols intérieurs, d'augmenter les offres de transports alternatifs (bus, trains). Les mentalités doivent aussi évoluer : les week-ends dans des villes européennes pour des citoyens européens sont des non-sens écologiques et questionnables culturellement. Peut-on s'imprégner d'une ville en y passant deux jours ? Le ras-le-bol touristique, qui augmente dans les villes comme Barcelone, Venise, ou Paris, est en partie liée à la baisse spectaculaire des billets d'avion, qui rend possible ces visites éclair. Seul un changement durable des mentalités et des mesures incitatives pourraient réellement provoquer une baisse durable de la consommation aérienne, et donc, de sa pollution.
Léopold Picot
S'il est possible d'être critique envers l'aviation, rien n'empêche d'en admirer les prouesses techniques. Dans un prochain article, on reviendra sur le fonctionnement d'un avion !